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Avatar: la voie des émotions

CHRONIQUE / Avec cette chronique, je souhaite instaurer un nouveau format de textes basés sur des films, et plus particulièrement sur des répliques cultes ou marquantes de l’histoire du cinéma. Je ne vais évidemment pas m’adonner à des critiques de films, mais simplement utiliser ces répliques comme prétexte pour analyser les thématiques et les messages que tentent de véhiculer leurs auteurs.


Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’Avatar, de James Cameron. Mon propos va se concentrer sur une réplique tirée du premier film, mais concerne néanmoins les deux volets de la saga. En outre, je voudrais m’attarder sur une critique adressée à Avatar en général, à savoir qu’il s’agirait d’une œuvre beaucoup trop simpliste et manichéenne. En effet, de nombreux observateurs ont reproché à Cameron sa propension à présenter l’humanité sous un jour peu flatteur, en opposition aux Na’vis (les autochtones de la planète Pandora) qui sont présentés comme purs et bons. James Cameron serait-il misanthrope ?

L’extrait qui m’intéresse est tiré du premier Avatar, sorti en 2009. Il met en scène un échange entre Grace Augustine, une scientifique du programme Avatar, et Parker Selfridge, l’administrateur d’une corporation minière qui souhaite mettre la main sur l’unobtainium, une ressource rare et précieuse. Le problème ? Un énorme gisement d’unobtainium se trouve sous un arbre géant qui abrite une tribu de Na’vis. Grace tente d’expliquer à Parker que cet arbre n’est pas comme les autres et qu’il revêt un caractère sacré pour les Na’vis, ce à quoi il lui répond : « De toute façon, ici, si vous lancez un bâton en l’air ou quoi que ce soit, vous êtes certains qu’il va atterrir sur un buisson sacré ou n’importe quoi d’autre ».

Selon moi, cette courte réplique justifie à elle seule le portrait peu flatteur que Cameron brosse de l’humanité. Parker ne comprend pas la culture et les traditions des Na’vis, il n’y accorde donc aucune valeur. Cela dit, il faut noter que dans cette scène (et dans le film en général), ce ne sont pas tous les êtres humains qui sont mauvais, mais seulement certains d’entre eux. Il est donc faux d’affirmer que Cameron oppose de manière simpliste et radicale les êtres humains aux Na’vis. Les êtres humains sont aussi déchirés entre eux quant au sort réservé aux Na’vis, comme l’ont été nos ancêtres lors de la controverse de Valladolid (débat politique et religieux sur le « droit de conquête » des Espagnols sur le Nouveau Monde et ses autochtones).

Quoi qu’il en soit, la décision est prise de détruire l’arbre. Ce qu’il y a d’effrayant et de triste dans cette scène, c’est que ce à quoi assistent les Na’vis, ce n’est pas seulement à la destruction d’un arbre (ou plus largement de la nature), mais aussi de leur culture et de leurs traditions. Au nom du profit et de leur prétendue supériorité, certains êtres humains n’hésitent donc pas à piller et à détruire tout sur leur passage.

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Cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler quelques heures sombres de notre histoire, notamment le colonialisme en Amérique du Nord. J’ai pensé au mont Rushmore, dont j’ai récemment appris la vraie histoire en écoutant un documentaire sur l’histoire des États-Unis. Le genre d’histoire qui vous dégoûte de l’humain. Saviez-vous qu’avant de devenir le monument que l’on connaît, le mont Rushmore était un lieu sacré pour les Lakotas ? Qu’à cela ne tienne, le monument a été construit quand même.

Cela rejoint les propos de Parker. Pour lui, les intérêts économiques de son « peuple » passent bien avant les intérêts culturels et vitaux des « sauvages ». Bref, loin d’être aussi caricaturaux qu’on pourrait le croire, les personnages et les événements du film font directement écho à des événements historiques qui ont bel et bien eu lieu.

Il ne fait évidemment aucun doute que James Cameron utilise son cinéma pour passer des messages, et en particulier un message écologiste. Cameron est un militant écologiste confirmé, végane de surcroît. Il est donc clair que son cinéma est engagé en ce sens. Il a cependant l’intelligence de le faire autrement que par des discours moralisateurs.

De son propre aveu, Cameron a créé la saga Avatar et tout cet univers pour susciter l’émerveillement. Pour nous conscientiser, il passe donc avant tout par la voie des émotions plutôt que par la raison. Est-ce une bonne chose ? Si l’on s’en tient à la théorie de David Hume, un philosophe écossais du 18e siècle, notre sens moral trouve effectivement sa source dans nos émotions, ou plus particulièrement dans ce que Hume appelait « le sentiment ». Si la raison s’avère utile pour déterminer ce que nous devons faire, ce sont bel et bien nos émotions qui mobilisent notre sens moral et qui nous incitent à agir.

Le principe est simple : on protège ce qu’on connaît et ce qu’on aime. C’est une leçon que les écologistes ont comprise depuis longtemps et qu’ils ont tenté d’appliquer – avec un succès mitigé, il faut bien le reconnaître. Pour nous inciter à agir face aux changements climatiques, il faut que nous nous sentions interpellés émotionnellement. Savoir ne suffit pas, il faut ressentir. Bref, tout comme Cameron, Hume pense qu’il vaut mieux passer par la voie des émotions plutôt que par la raison.



James Cameron n’est pas misanthrope. Ce qu’il critique, ce n’est pas l’humain, mais un système. Un système qui exploite nos « bas instincts » et qui fait ressortir ce qu’il y a de mauvais en nous. Et quoi qu’en disent ses détracteurs, son propos est plus pertinent et nécessaire que jamais.

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Sébastien Lévesque enseigne la philosophie au Cégep de Jonquière depuis 15 ans. Celui qui est surtout intéressé par les questions relatives à l’éthique et à l’épistémologie des sciences publie des textes de façon régulière dans Le Quotidien depuis plus de 10 ans. Avec ses chroniques, il cherche notamment à faire la promotion de la pensée rationnelle et critique.