Non, les notes ne sont pas une loi de la vie

Cette semaine, c’est au tour de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE) de se déclarer en faveur d’une élimination des notes et des moyennes des bulletins scolaire.

OPINION/ La semaine dernière, on apprenait que l’école primaire Henri-Beaulieu travaillait à éliminer progressivement les notes de ses classes. Cette semaine, c’est au tour de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE) de se déclarer en faveur d’une élimination des notes et des moyennes des bulletins scolaire.


Une discussion importante est en train de prendre forme, au déplaisir de ceux et celles qui valorisent une école qui discipline les élèves et qui hiérarchise leurs rendements.

Ainsi pour le chroniqueur Mathieu Bock-Côté, cette mauvaise idée vient de professionnel.le.s aliéné.e.s par le milieu des sciences de l’éducation, lequel «cultive l’idéal d’une éducation sans autorité, sans maître, sans contraintes, presque ludique. Autrement dit, qui cultive une idée de l’éducation contraire aux lois de la vie» (Journal de Montréal, 10 janvier 2023).



C’est là une opinion, mais il ne serait pas inutile de mentionner qu’elle est contredite par plusieurs recherches sociologiques, historiques et anthropologiques, et sans doute par l’expertise d’une proportion non négligeable de professeur.e.s à tous les niveaux d’enseignement.



Pour nous, la remise en question doit toucher à tous les ordres d’enseignement. Nous enseignons au niveau collégial, soit après 11 ans d’évaluation chiffrée. Voici les conclusions que nous tirons de ses effets.

1. Les notes n’expriment pas les apprentissages, et, pour cette raison, elles constituent le moyen de communication le plus pauvre entre professeur.e.s et élèves et entre collègues. Une note de 80% peut être le résultat d’une élève forte qui a vécu des problèmes de santé qui ont bouleversé sa session ; ou celui d’un élève faible qui a travaillé d’arrache-pied et a nettement progressé entre le début et la fin de la session ; ou encore celui d’une élève passionnée par la matière mais aux prises avec un trouble d’apprentissage non-diagnostiqué.

Il y a des dizaines de scénarios d’apprentissage pour une même note. En général, les parcours d’apprentissages sont divers, multifactoriels, et trop complexes pour être adéquatement exprimés par une note.



2. Les notes causent de l’anxiété et du stress qui nuisent fortement à l’apprentissage. Alors que l’école québécoise, et la société en général, constate l’importance de soigner notre santé mentale, cette seule considération suffit à remettre en question les bulletins chiffrés à l’école. Au cégep, l’anxiété de performance des élèves n’est plus une exception, elle est la norme. Les étudiant.e.s se comparent à la moyenne, rarement à eux-mêmes. La rétroaction que nous donnons sur les copies des étudiant.e.s est le plus souvent ignorée, ou lue exclusivement comme une justification des points attribués ou enlevés, et non comme une occasion d’apprendre et de progresser.

3. Les notes punissent l’erreur, pourtant partie intégrante du processus d’apprentissage. Apprendre de ses erreurs, prendre des risques, explorer, essayer d’aller au bout d’une idée ou d’un projet devrait être beaucoup plus valorisé par l’école. Hélas, chaque erreur coûte des «points». Ceci encourage les étudiant.e.s à prendre un minimum de risque pour maximiser leurs bénéfices (chiffrés), et donc à se priver d’occasions importantes de mieux connaître leurs intérêts, leurs forces, et leurs besoins.

4. Les notes pervertissent la relation pédagogique entre les professeur.e.s et les étudiant.e.s. Elles l’orientent vers la justification des notes et le marchandage de points. Libérée du carcan de la note, cette relation pourrait retrouver son sens pédagogique, à savoir celui de soutenir et d’encourager les apprentissages de chacun.e.

5. En général, le problème des notes rejoint celui des inégalités scolaires. L’école note pour classer les élèves entre eux, ce qui n’est pas une finalité pédagogique. C’est ce que dénonce à juste titre le rapport du Conseil supérieur de l’éducation Évaluer pour que ça compte vraiment, qui a initié la réflexion de l’école Henri-Beaulieu sur les notes. On note pour sélectionner les «meilleur.e.s» (pour les vocations particulières, les écoles privées, l’université, les bourses, les programmes contingentés, etc.).

En ce sens, les notes sont nécessaires non pas à la vie, mais certainement à l’idéologie méritocratique, selon laquelle chacun.e mérite son sort dans une parfaite égalité des chances. Mais l’idéologie méritocratique est aussi fausse qu’injuste. Fausse, parce que dans une société aux inégalités de plus en plus marquées, l’école ne parvient pas à assurer l’égalité des chances. Fausse aussi, parce que des réalités individuelles non choisies (la santé mentale, l’environnement familial, le niveau de scolarité des parents, etc.) invalident la capacité qu’ont les professeur.e.s à mesurer objectivement le mérite individuel de leurs étudiant.e.s. Enfin, la méritocratie est injuste parce qu’elle enseigne aux perdant.e.s du système scolaire qu’ils n’ont qu’eux-mêmes à qui s’en prendre, et fait croire aux gagnant.e.s qu’ils méritent seul.e.s tous les privilèges et les bénéfices que leur apportent leurs succès scolaires.

Philippe Langlois et Akli Ait-Eldjoudi Professeurs au Cégep de Sherbrooke

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