En fait, la question, c’est LOL-Miaou ou LOL-Meuh ?
Lundi, le Groupe Bel a lancé ce débat pour le moins savoureux dans sa toute nouvelle campagne promo imaginée par l’agence Havas Montréal. Une campagne locale pour l’entreprise familiale du Jura, fondée en 1865, qui est aujourd’hui un poids lourd mondial de l’agroalimentaire.
Au Canada et au Québec — où l’entreprise est présente depuis 1957 — on connaît surtout ses marques phares comme Mini Babybel et Boursin.
Mais bien sûr, ou plus justement, avant tout, il y a… La Vache qui rit.
Le fromage centenaire, né en 1921 après l’invention du «fromage fondu», continue de sourire aux Canadiens.
Un fromage fondu français produit ici
Chaque année, pas moins de 211 millions de ses petites pointes sont vendues au pays — et toutes sont fabriquées ici même, au Québec, à Saint-Antoine-de-Tilly, par la Fromagerie Bergeron. Pour vrai!
«On a commencé notre partenariat avec la Fromagerie Bergeron en 2007, ça fait presque 20 ans. On a fêté les 10 ans», précise Marie-Ève Robert, vice-présidente Marketing & Développement durable au Groupe Bel, division Canada.
Les deux autres produits de la marque sont eux aussi fabriqués au Québec, à Sorel et chez Agropur, pour approvisionner l’ensemble du Canada. La gestion de l’offre favorise ce genre d’accord entre les compagnies étrangères et le Québec.
L’emblématique vache revendique désormais sa place au sein des 3790 émojis du Consortium Unicode, lequel décide en grande partie des petits dessins qui s’ajoutent à nos claviers numériques, année après année.
Assez vieille pour rire!
Lasse de voir les autres rire — notamment le chat — la vache veut faire valoir, dans cette nouvelle pub, son privilège d’ancienne pour revendiquer sa place.
«Difficile d’ignorer les ressemblances entre l’émoji le plus utilisé dans le monde [le visage qui rit aux pleurs] et notre icône du rire, entend-on dans le message diffusé partout. Même le chat, connu pour sa mauvaise humeur, a eu le droit de pleurer de rire dans nos textos. Quand pourtant tout le monde s’entend pour dire que c’est la vache qui rit.»
«Depuis ce matin, les réactions sont unanimes: tout le monde se dit que c’est une évidence, avance Marie-Ève Robert. On joue justement avec ça, et c’est ce petit déclic-là qui est intéressant et qui interpelle les consommateurs.»
Une pétition qui fait le bien
Les internautes sont d’ailleurs invités à signer la pétition dûment mise en ligne sur Change.org, où on apprend, en s’y rendant, que pour chaque signature, le Groupe Bel s’engage à donner 0,50 $ aux Banques alimentaires du Québec.
«On a vu l’opportunité de s’intégrer à cette culture populaire là de façon ludique, mais c’est un prétexte pour soutenir notre partenaire, Banques alimentaires Canada, dans la lutte contre l’insécurité alimentaire, assure-t-elle. La pétition, c’est un moyen accessible et engageant d’interagir avec notre marque, mais aussi de mobiliser les consommateurs pour une bonne cause.»
Elle promet que si le montant de 50 000 $ n’est pas atteint avec les 100 000 signatures nécessaires, le Groupe Bel complétera la somme pour atteindre ses objectifs.
Une quête perdue d’avance
C’est vraiment ça, le bout sérieux de la démarche, car il serait impossible pour le ruminant rieur de trouver sa place dans les émojis officiels approuvés par le Consortium Unicode — et le Groupe Bel le sait. L’organisation internationale est sans équivoque dans ses règles: impossible d’intégrer des logos ou marques de commerce.
Unicode, qu’est-ce que ça mange — au lieu de fromage La Vache qui rit — exactement? C’est une organisation de normalisation collaborative, plus précisément un groupe de gens de partout dans le monde qui travaillent ensemble pour élaborer une norme ouverte, évolutive et universelle d’encodage de caractères.
En uniformisant les glyphes utilisés sur les claviers des ordinateurs, tablettes et téléphones, l’organisme s’assure que tous les textes, peu importe la langue ou le symbole utilisé – comme les idéogrammes chinois, les tildes espagnols, les accents français et, oui, les émojis! – s’affichent correctement sur tous nos appareils, partout sur la planète.
Pour faire simple, c’est l’alphabet universel du numérique.
Au Québec pour y rester
Parlant universalité, si la gestion de l’offre du lait canadien est loin de s’y conformer, Bel entend bien rester chez nous même si le régime agricole menacé par Donald Trump venait à tomber.
Au Canada, la gestion de l’offre du lait encadre tout: elle contrôle combien on en produit, à quel prix on le vend et combien peut entrer de l’étranger.
Résultat: pour vendre du fromage ici, il faut le fabriquer ici, avec du lait canadien acheté à prix réglementé. C’est pourquoi des géants comme le Groupe Bel, KraftHeinz ou Parmalat produisent leurs fromages localement. En plus de respecter les règles, ils misent sur le savoir-faire d’ici et font rouler l’économie locale.
Un modèle qui transforme 100 millions de litres de lait
La vice-présidente Marketing & Développement durable au Groupe Bel, division Canada, se fait rassurante sur ce point: gestion de l’offre ou pas, leur modèle d’affaires implanté ici tient la route.
«On a vraiment à cœur de produire localement. Ça fait près de 20 ans qu’on est en partenariat avec Bergeron. À l’époque, c’était un modèle d’affaires tout à fait nouveau pour le groupe. Agropur est ensuite devenu un partenaire il y a 12 ans, et on a aussi investi 87 millions dans notre usine Bel de Sorel-Tracy en 2020.»
— Marie-Ève Robert, vice-présidente Marketing & Développement durable au Groupe Bel, division Canada
En tout, elle estime que ce seraient 100 millions de litres de lait que le Groupe Bel transforme au Québec pour tout le marché canadien, annuellement.
Un refus d’abord essuyé par la poutine
Le Groupe Bel n’est pas la première entreprise à tenter de faire un coup de pub avec la création d’un émoji. En 2019, les restaurants Valentine avaient tenté le coup en lançant, eux aussi, une pétition pour que le fleuron gastronomique québécois, la poutine, soit illustré.
Ce n’est pas utopique, puisque les ramens japonais et le thé matcha argentin y trouvent leur icône, mais ce n’est pas une marche dans le parc pour autant. Il avait fallu un dossier étoffé de pas moins de 40 pages, préparé par les Argentins Martín Zalucki et Emiliano Panelli Terranova, pour convaincre l’organisation que cette boisson précolombienne, résultat d’une infusion de feuilles séchées – la yerba maté – méritait sa place parmi les petits dessins.
Le fleurdelisé aussi boudé
Le Parti québécois avait aussi tenté le coup avec le fleurdelisé et avait même fait une motion à l’Assemblée nationale en 2021.
En vain: Unicode a justifié sa décision de ne pas accepter de nouvelles propositions de drapeaux parce qu’il y avait déjà 250 drapeaux d’États reconnus officiellement, en plus de quelques drapeaux régionaux ou de subdivisions — comme ceux de l’Écosse ou du pays de Galles.
Ces derniers sont beaucoup plus rares et nécessitent des critères spécifiques. Bref, l’inventaire était déjà saturé.
Rien n’empêche toutefois Apple ou Android d’ajouter leurs propres émojis. Il faut simplement garder en tête que la communication peut se brouiller entre appareils si les utilisateurs s’échangent des symboles exclusifs à leur système.
Même si la vache rit toujours, on peut la rassurer: depuis 2021, l’émoji «pleurer de rire» est considéré comme ringard par les jeunes sur TikTok. Peut-être qu’au fond, elle est mieux de rester ce qu’elle a toujours été: une vache libre, qui rit à sa façon.